L'AVENTURE LÉOPARD

L'AVENTURE LÉOPARD - 2010 à nos jours.
Correspondance régulière avec Christophe Blanc d'illustration. 




MERCREDI 1994,

Ma mère,
Le diable agit dans les détails mais je comprends aujourd'hui que ses préposés sont les pistons vergetés d'une machine cataclysmique et ronflante. 
Je déteste cet endroit sans la haine, je ne rencontre personne ici, je déteste mes nouveaux camarades sans la haine, aucun ne m'adresse la parole. Ces jeunes fils de viols m'engueulent dessus à des fréquences exagérées, ils sont pueux, mous et grotesques, ils me raillent avec la discrétion des forges d'antan. 
Ma mère, je suis seul et j'ai désormais un ripaton en péril puisqu' on m'a dérobé une chaussure de sécurité… Le responsable, je le connais mais je n'ose rien, cette situation me plante de petits couteaux dans le bas du ventre. Ma mère, j'aimerais ne pas avoir à te le demander alors je ne te demande rien. 

PS: Je pense qu'une petite souris vient de passer dans le coin de mon oeil. Je n'ai pas su l'identifier tout à fait. Noire, peut-être blanche, les deux à la fois... J'ai horreur d'avoir à le faire mais je vais élaborer un plan d'extermination.  
Ça m'enquiquine déjà. 

Napoléon-Ludovic, ton fils qui t'aime.











































MERCREDI 1994, 

Pause de midi, je suis seul à l'étage, mes collègues sont au petit gymnase, les pattes dans des gouilles pisseuses, ils fument du joint et se droguent sur le visage dans un éther d'ammoniac. Le soleil est pâle, impuissant… Tout est blanc, l'atmosphère, je te le jure, c'est du gravier dans les selles!  Allongé, je t'écris depuis ma cagna où un vent violent s'engouffre et menace de lisser les crépis. Aujourd'hui en effet, il souffle comme un chien au parc, les portes pétaradent en guirlande dans les couloirs du foyer et c'est le nouvel an chinois dans mes oreilles.  Flûte! La chainette a chu,  le vasistas vacille, s'il s'ouvre je souffre. 

Baccarat est une ville si formelle et molle qu'une promenade en chaussette sur  son plan cadastral passerait pour un moment agréable. C'est une ville formole, je n'y rencontre personne mais ça va, pour moi tout va mieux, beaucoup mieux! 

Tu sais, je suis triste en temps qu'enthousiaste - la confusion des sentiments - garante de mon "je suis" mécanise en ma cage de thorax un bien être sans jumeau. Maman, enfin je goûte à l'existence, c'est fort et frais comme dans l'enfance le foie en bouche. Je convertis ma bile noire en un outil de travail et vivrai avec désormais… Au jour où celle-ci (lasse de ne plus m'aplaventrer dans le potager des funestes) s'émancipera, je ne la retiendrai pas. Une promesse : je ne me suiciderai plus.

Je fais bonne réception de la chaussure de sécurité, merci beaucoup! 


Napoléon-Ludovic, ton fils qui t'aime.